La lettre par porteur m’informant de la nomination de gougou au titre de Vizir Tournant est arrivée trop tard pour mon malheureux ami. Il était déjà « passé » (comme on dit). Au fait, je me présente : Jen Vuvu, moine de mon état, fidèle du vieux gougou. J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop d’utiliser son code d’accès rédacteur et son mot de passe (touchant souvenir d’une belle bouteille bue en compagnie de sansnom). Je promets de ne plus recommencer. Mais je voulais donner quelque témoignage de mon ami, après sa mort subite mais apaisée. Je voulais aussi, en tant qu’exécuteur testamentaire, essayer de régler le délicat problème de droit public posé par son décès. L’ayant bien connu, et eu égard à son classicisme obsessionnel, je crois qu’il aurait choisi le plus ancien pour lui succéder, donc cook. Espérons que celui-ci acceptera.Ces questions gouvernementales réglées, je me dois de passer à l’inventaire des biens et meubles délaissés par feu le Seigneur gougou, de l’Académie Française, né à Moudeyres (43), décédé hier en sa maison parisienne.Premierement un lit, un traversin, deux oreillers et deux couvertures de lit, puis une paire de rideaux et un rabat en drap rouge avec une courte-pointe en drap.Item encore sept chemises telles qu’elles sont.Item encore huit volumes de Mémoires de Saint-Simon.Item encore deux volumes d’œuvres de La Fontaine.Item encore un volume de Jeux et sapience du Moyen-âge.Item encore un livre intitulé Bravoure, chez POL.Item encore trois volumes des Essais d’un auteur bordelais.Item encore un livre intitulé Silvae Metaphysicae, d’une couverture mauve.Item une bouteille de vin de Graves, du Château Haut-Brion, de 1959 ; encore une bouteille de Banyuls Vieilles vignes 1978 du Domaine du Mas Blanc.Item encore un Château-Chalon de Jean Macle de 1985.Item un Vouvray Première Trie de chez Huet de 1990.Item encore le volume 6 de l’ancienne intégrale de Barbara ; item Rock Bottom de Robert Wyatt ; item encore les Partitas de Bach par Glenn Gould ; item l’intégrale de Scarlatti par Scott Ross, avec la notice photocopiée en noir et blanc.Item quelques VHS : les Demoiselles de Rochefort, JLG /JLG, Jeanne La Pucelle, La comédie de Dieu, Sous le soleil de Satan, Le sacrifice, The Quiet Man.Un tableau sur fond noir, avec des nuages verts un peu étranges et un soleil creusé.Quelques cartes postales de Nice, du Meygal, du Finistère Nord, de Clifden.Un photomaton trois poses avec une jolie blonde portant une veste de marin blanc crème ; la photo d’une enfant qui éclate de rire.C’est tout. C’est beaucoup. C’est ainsi.Ainsi fait et inventorié par moi notaire et moine, Jen Vuvu, résidant à La Haye, sans rien avoir caché avec préméditation, et fus requis d’en faire et bailler cet instrument public en présence de Candy, Grain de Sel, Cook, Sansnom, Zebulon Young, Carlos, Atomik, témoins.Actum, Paris, ce 12 février 2003.Ah oui ! j’oubliais – cela devait finir ainsi, pour lui : «Tout redevenait comme hier,Le parfum lourd des sauges rouges,Les dahlias fauves dans l’allée,Le puits, tout, j’ai tout retrouvé,Hélas»Envoi :« Homo liber de nulla re minus, quam de morte cogitat, & ejus sapienta non mortis, sed vitae meditatio est » dit le bon Spinoza. Et pourtant, « plus jamais en Avril toucher le lilas blanc »…